je repense à mon pantalon noir préféré
oublié dans la cabine d’une piscine d’Islande
fragment laissé derrière pendu
à son crochet – doublure froide veillant
l’espace, tolérant les insectes nocturnes
dans son petit vestiaire mal éclairé
elle refait sa vie, nage à travers
les glaciers, pourrit sur le bord des coutures
parmi les débris : objet perdu
non identifié par les touristes futurs
venus se glisser dans le plus vieux bassin du pays
alimenté par les sources chaudes du volcan
je m’étire en secret dans mon pantalon égaré
reprends le souffle de mon spectre –
programme double pour le corps – il regarde
la danse muette des nuages
traversant d’un côté de l’île à l’autre
cet oubli, est-ce mon drapeau ?
ici est un havre où j’aimerais mourir
ou simplement retirer mes chaussures
je plonge au fond jusqu’aux algues poussées
une centaine d’années avant ma naissance
j’opère une mission analogue
comme les apprentis astronautes imitent le ciel
depuis le sol : je me fais amie
avec le lichen et les geysers
je remonte à la brûlure de l’eau
aux origines de l’instable, au soufre qui empeste
imprègne mes vêtements laissés au large
tel un drap déposé sur la grève
le bas et le haut se confondent, j’envisage
déjà de vivre sur un autre corps
céleste : les plages de sable noir, la fumée
les roches, l’absence d’arbres me rappellent
que l’avenir ne nous attend pas, il recommence
ailleurs la beauté d’un grand fjord ouvert
j’extrais de ce monde un morceau
minéral que je ramène aux amies
il chatoie comme une évidence espérée
de vie outre
la vie
Mélissa Labonté, Scaphandre, Éditions du Noroît, 2024, p. 52-54.